Pour cet acte III de Faits d'hiver, evanouis les fantômes, et non plus nulle d'apparition d'un corps fantôme, qui par définition se manifesterait durant l'aprés du corps vivant. Place plutôt au corps d'avant, au corps de l'origine. Ce Corps 00.00 qui nous fascine plus que la pourtant belle virtuosité d'enchainements au sol d'Obvie.
Ce corps fascine, jusqu'à vite faire oublier les aspects technologiques du projet, les stimulateurs électriques et autres fils, jusqu'à ce qu'on s'approprie la chose autrement. Pour formuler d'abord que Cindy Van Acker ose sereinement une danse à risque, dans le sens où il s'agit d'une danse au bord toujours d'être trop abstraite, trop épurée. Non sans évoquer ce que fût parfois le buto. Une danse développée dans la lenteur, organique, concentrée et solitaire, introvertie, vierge de développement narratif, insouciante de tout rapport à l'autre. Dans un sens une danse d'avant l'histoire, tous repères effacés, d'avant le temps. On veut comprendre ainsi le titre: Corps 00.00. Cette piece est portée par un corps presque nu, comme d'avant la conscience sociale, et au tout début de la conscience de soi. Cette presque nudité ne se charge d'aucun érotisme, se laisse voir comme une nudité d'innocence toute proche de la naissance. Parce que de cette danseuse se dégage une forte, évidente, qualité de sérénité, Perrine Vallisemble toute destinée à incarner ce rôle. Dans une lumière de presque l'aube. Sous l'influence de musiques incertaines, qui émergent juste de la neutralité harmonique, dont les rythmes flous semblent à peine esquisser l'invention du temps. Perchée en hauteur, la danseuse chute deux fois, comme chaque fois accouchée. Le câble électrique auquel elle est relié devient ombilical. A terre, elle commence à inventer son chemin. L'existence s'impose peu à peu par l'action, par le geste, par la mesure du corps. Sans heurts. En évidences. L'espace est géométriquement exploré, comme il se doit pour un commencement, par les bras souvent tendus, et à l'aide de mouvements qui explorent les limites de l'équilibre. La danseuse aborde un parcours, dont des marques au sol imposent la progression des pieds et des mains. Elle l'exécute plusieurs fois, accéléré. Le récit commence ainsi à être, et avec lui l'ébauche d'un temps premier, défini par des évènements plusieurs fois répétés. Aux dernières secondes surprend un effet de lumière chaude. La danseuse est debout, immobile, éclairée comme une femme enfin. Face aux autres. Pour une vraie naissance.
C'était, de Cindy Van Acker, Corps 00.00 ♥♥♥♥♥♥ avec Perrine Valli, et Obvie ♥♥♥♥, avec Tamara Bacci, à Mains d'Oeuvres, avec le festival Faits d'Hiver.
video a voir sur le site de Julien saglio
En quelle manière sont donc ces deux temps: le passé, et l'avenir; puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore? Et quant au présent, s'il était toujours présent, et qu'en s'écoulant il ne devint point un temps passé, ce ne serait plus le temps, mais l'eternité. Si donc le présent n'est un temps que parcequ'il s'écoule et devient un temps passé, comment pouvons nous dire qu'une chose soit, laquelle n'a d'autre cause que son être, sinon qu'elle ne sera plus? De sorte que nous ne pouvons dire avec vérité que le temps soit, sinon parce qu'il tend à n'être plus. Saint Augustin.
photo de Cindy von Acker avec l'aimable autorisation de Jerome Delatour